2020 – Tessin
Tessin: Invitation au voyage et reflections
La décadence d’une société commence quand l’homme se demande :
« Que va-t-il arriver ? » au lieu de se demander : « Que puis-je faire ?»
Denis De Rougemont
Au Tessin, comme dans beaucoup d’autres régions, l’évolution du monde viticole comporte des questionnements sur les méthodes culturales, le matériel végétal, les styles de production et l’argumentation utilisée dans la vente.
Je vous invite à faire un pas en arrière afin de mieux comprendre le milieu et la naissance de certaines pratiques pour après plonger dans deux thèmes d’extrême actualité; les pratiques agronomiques dans la climatologie tessinoise et les relations entre production de raisin et négoce (transformation et commercialisation).
Histoire des pratiques viticoles
Depuis le Moyen âge, voire bien avant, la vigne était bien répandue dans la région tessinoise. Elle participait soit à une économie de subsistance, soit la commercialisation de ses dérivés, en fonction de la période référencée.
Le fil rouge étant le pouvoir nutritionnel du vin dans un régime alimentaire pauvre et, sous le profil sanitaire, l’aspect sécurité lié à la consommation de boissons fermentées contrairement à l’eau, souvent provenant de sources insalubres.
L’approvisionnement de telles denrées alimentaires était donc d’importance capitale autant pour les nobles et le clergé, autant pour le quotidien rural.
La vigne trouvait ses espaces dans des endroits plus ou moins fertiles, surtout là où la zone n’était pas si propice aux autres cultures (céréales, potager, etc.).
Les méthodes de culture visaient à assurer le côté quantitatif de la production, bien qu’on ne puisse pas parler de viticulture « intensive ». Il s’agissait de polyculture dans les parcelles plus proches des centres habités ou de plantation en coteau/terrasse pour optimiser les endroits mieux exposés au soleil.
Historiquement donc plusieurs méthodes de façonner la vigne pouvaient coexister et être adoptées en fonction de la configuration du terrain ou de la variété plantée (en sachant que le plus souvent il s’agissait de mélanges de variétés).
Il était assez commun de voire des pergolas soutenues par les « caràsc » (piquets en pierre) et de vignes mariées ou « alberate » (vignes grimpantes sur les arbres). Dans les deux cas la solution était beaucoup plus durable que les piquets en bois de châtaignier (fortement associé à la flore régionale).
Climatologie
Contrairement à ce que l’on peut penser, (beaucoup de soleil = environnement sec), la région est autant la Sonnen-stube suisse, que l’endroit à la plus haute pluviométrie du pays. Ces deux éléments combinés représentent un milieu favorable pour le développement des maladies fongiques, en particulier le mildiou, et en moindre mesure l’oïdium. Depuis leur arrivée des Amériques dans la deuxième moitié du siècle XIX, celles-ci n’ont plus jamais quitté la Vitis Vinifera européenne ainsi que d’autres espèces végétales.
L’ancien remède, cuivre et soufre, reste efficace et compatible avec tous les modes de production viticoles (conventionnel, intégré, bio, biodynamique), mais afin d’assurer la protection, le vigneron est obligé de traiter directement après chaque pluie (> 30mm). Il s’agit donc d’un travail énergivore et lourd en coûts de production étant donné les fréquentes averses tessinoises.
Une solution alternative admise en production conventionnelle ou intégrée, repose dans l’utilisation de produits antifongiques. Aujourd’hui, dans le but de réduire les intrants, la recherche s’oriente de plus en plus vers des variétés résistantes (interspécifiques).
Sur ce point le Tessin, et la viticulture en zone humide en général, sont en plein questionnement.
Afin de mieux comprendre l’équation, il faut aussi intégrer la variable sociale et la structure du marché.
Producteurs et négociants
Le segment de production est aujourd’hui constitué de 3600 viticulteurs et environs 270 producteurs qui transforment le raisin.
La première catégorie inclut les viticulteurs professionnels, les « hobbystes » et les domaines proprement dits (vignerons encaveurs). En regardant les chiffres, la balance penche vers les petits propriétaires qui soignent un bout de vigne en parallèle du travail principale et vendent le raisin à des tiers pour la vinification.
Parmi les producteurs nous trouvons les coopératives, encore une fois les domaines et les négociants qui achètent le raisin. L’achat de raisin n’est tout de même pas rare auprès des vignerons encaveurs pour compléter la production.
Le chiffre rond de 1200ha de vignoble donne une bonne idée du morcèlement des surfaces.
A cela s’ajoute le fait que les vignobles sont souvent éparpillées à l’intérieur d’une grande surface forestière et de campagne. Il est fréquent qu’un domaine de 4 ha travaille plus de 15 parcelles situées sur différentes communes.
Comment déployer tous les soins nécessaires à une production viticole durable au Tessin quand il est impensable de faire des économies d’échelle ?
Quel est l’avenir de cette structure socio-économique de production face à la demande croissante de vin bio, avec toutes les contraintes mentionnées, quand l’achat de raisin baisse en prix et volumes ?
Quelle devrait être la morale du consommateur face à ce portrait ?
Si vous êtes intéressés, dans l’épisode multimédia à venir, j’ai essayé d’adresser ces thématiques et faire parler les hommes derrière les vins présentés. Chaque domaine, à sa façon, propose des solutions et des axes de réflexion.
Avec ces initiatives je cherche à contribuer, à ma petite échelle, à aiguiser l’esprit critique du consommateur et donner de sujets des conversation engagés…espérons, autour d’un bon verre !
Santé !
Michele
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Photo: saison d’hiver au Castello di Morcote, gallérie swisswine.ch