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Géorgie: Repérage viticole et réflexions

 

« Stase, pureté, essence immuable, elles sont au cœur du mythe naturel. Naturel signifie la version originale — et, comme pour les livres saints, l’original signifie le meilleur »

Le savant de la religion Alan Levinovitz

 

Repérage : La Géorgie – Berceau des vins naturels ?

Deux mois après mon retour de Géorgie, je garde une forte impression de ce repérage viticole mémorable, en excellente compagnie et avec un guide d’exception. Entre nourriture et vin il est impossible de se rendre dans ce pays sans gagner au moins une taille à la ceinture mais quel bonheur !

Il me semble approprié de toucher un mot sur notre expérience géorgienne et leur tradition viticoles à quelques jours de “l’officialisation” par l’INAO de la charte de production des « Vins Méthode Nature ». 

Cette charte (Nature ‘L), à l’essai sur les trois prochaines années, compte déjà sur quelques centaine de signataires. 

A un mois de sa publication elle n’est pas visible sur le site INAO ni par le liens indiqué syndicatvinnatur.com

 

Le mouvement des vins naturels

Le mouvement des vins naturels est né à la fin des années 1960, grâce à la contribution de Jules Chauvet, à La-Chapelle-de-Guinchay, dans le Beaujolais. Ce vigneron-négociant, chimiste et penseur, révolutionne non seulement la manière de produire du vin, mais aussi son esthétique, de laquelle découle la dégustation contemporaine.

Le « gang des quatre », dans le Beaujolais, (M. Lapierre, J. Foillard, G. Breton et J.-P. Thévenet) à la fin des années 70, se propose de produire des vins sans aucun ajout, tout en utilisant soigneusement les techniques modernes, comme le contrôle de la température. Cette « révolution » n’est probablement qu’une réponse au niveau d’intrants chimiques tolérés après-guerre, dans un pays encore affamé, et dont la productivité agricole reposait largement sur ces solutions.

Au fil des années 90 le mouvement des vins naturels se répand mondialement parallèlement à la « Parkérisation » du goût et au changement du « statut du vin », qui passe d’aliment quotidien à symbole de statut social, voir objet spéculatif.

Les « communautés » de pensée qui portent ce mouvement, sont de nos jours présentes dans le monde entier, mais prêchent des visions asymétriques sur le concept du vin naturel. Certains producteurs acceptent des pratiques bannies par d’autres, comme par exemple des tolérances différentes relatives à l’usage de SO2. Dès lors il devient un peu difficile de définir ce qui est un vin nature et par conséquent le reconnaître !

D’ailleurs faut-il vraiment le reconnaître ou le vin naturel doit-il juste être « bon » et digeste? Et s’il faut le reconnaître, quelles sont ses caractéristiques ? 

De nos jours, les consommateurs manifestent un grand intérêt pour un retour à la nature et des modes de production plus verts. La mondialisation du phénomène des vins naturels et sa commercialisation engendre une demande de transparence et de traçabilité et certains acteurs souhaitent définir un cadre législatif international supporté par des analyses en laboratoire. 

Pourtant du côté des producteurs ce besoin de réglementation est incompatible avec leur philosophie libertaire, une note du manifeste de J. Dresser, importateur & pionnier des vins natures aux États-Unis, dit : « Le mouvement du vin naturel déteste la précision, le détail et les faits ! »

 

Géorgie, vins natures et amphores

Parmi les différents courants de pensée relatif au vins naturels il y a celui qui consiste à revisiter les méthodes de production antiques, à une époque où même le pressoir n’avait pas encore été inventé…

La Géorgie est considérée par beaucoup comme le berceau de la production viticole, elle est donc l’héritière de plus de 8000 vendanges !

Et si le temps a été suspendu pendant près d’un siècle en Géorgie, depuis 30 ans le pays s’impose un fort virage vers la modernité et l’économie de marché, en net contraste avec son passé soviétique, en essayant de structurer son économie et en valorisant ses propres atouts.

La production viticole du pays est « suavement » réglementée et le cadastre viticole est encore en cours d’élaboration. Cet exercice s’avère d’ailleurs compliqué puisque pratiquement chaque famille possède de la vigne, les cépages plantés, quant à eux sont inconnus ou trop cher à répertorier sur chaque bout de terre. Une grosse partie de la production reste donc hors registres et « confinée » à la consommation domestique.

En Géorgie, les scénarii sont complexes et variés, certains producteurs emploient des outils modernes, d’autres maintiennent, ou redécouvrent, d’anciennes pratiques du « qvevri » l’amphore à la forme typique de Géorgie qui est devenue le symbole des vins du pays dans le monde. Toutefois et sans vouloir casser un mythe, seul 2% du vin produit par la Géorgie est produit en « qvevri ».

Dès l’ouverture des frontières géorgiennes dans les années 90, des vignerons d’Oslavie (dont l’emblématique Josko Gravner) s’inspirent des méthodes de vinification anciennes et non interventionnistes. 

Aucun contrôle de température (du moins à l’origine), grâce à l’effet rafraîchissant du sol où les « qvevri » sont enterrés ou alors de la température du milieu où les conteneurs sont entreposés.

Les vins ainsi produits, dits oranges si à base de cépages blancs, subissent de manière générale un sulfitage extrêmement limité, rendu possible par les tanins extraits lors de la macération. C’est eux qui garantiront en bonne partie la protection contre l’oxydation.

Mais y-a-t-il un lien entre la méthode géorgienne – macération en amphore – et les vins natures qui en ont adopté certains principes ? 

La vinification en amphore n’est pas directement liée à la production de « vins naturel », la technique est en fait largement utilisée dans le monde par des producteurs qui ne se réclament pas « naturels » ; ce qui a pour effet d’augmenter encore l’incompréhension du consommateur et l’hétérogénéité de l’offre sur le marché.   

Affirmer que tous les vins « funky » sont naturels est une erreur aussi grossière que de penser que tous les vins naturels présentent des « déviations ».

 

Questions et parfois réponses

Faut-il se pencher sur les vins natures et oranges ?
Pourquoi pas ? Ça vaut la peine d’essayer afin de vous faire une opinion. 

Faut-il visiter la Géorgie ?
Faut-il goûter ses vins malgré l’hétérogénéité de leur production ?
Ma réponse est oui, parce que certains vins en valent la peine et que nous participons ainsi à ouvrir leur économie.

Faut-il goûter des vins naturels en général ? 
Un sujet complexe qui n’appelle pas de réponse simple, voici mes pistes de réflexion en espérant pouvoir bientôt en discuter de vive voix avec mes lecteurs. 

  1. Je reçois avec joie cette officialisation de la charte INAO sur les « Vins Méthode Nature », non pas comme la mise en cage d’un courant de pensée libertaire, mais comme une voie d’accès à ce marché pour des producteurs de grande taille qui ont les moyens d’en développer la recherche et la production.
  1. Le développement de la production des vins naturels va dans le sens des attentes du consommateur. Citons par exemple la recherche sur l’augmentation de l’efficacité du SO2 dans le contexte du changement climatique et de l’augmentation moyenne du pH du vin. 
  1. À long terme, l’expérience acquise à travers la recherche bénéficiera à tous les producteurs de vin, entreprises ou artisanat…donc y compris aussi les puristes qui se dressent pour l’instant contre les règlementations.
  1. Je salue la stratégie de communication de la Géorgie. Il faut trouver des locomotives et des facteurs de différentiation dans un marché saturé et dont la consommation est orientée à la baisse.   
  1. L’avenir tirera encore vers la consolidation de biens et ressources, ainsi qu’à l’urbanisation des populations (surtout dans les pays émergents, soit les nouveaux consommateurs). L’appétit et le besoin de ces populations ne peut qu’embrasser la philosophie des vins nature pour leur capacité à évoquent un passé plus lent et plus « terrien ».

 

Faut-il s’éloigner des protocoles œnologiques pour trouver de l’authenticité ou soutenir les causes qui marient le juste interventionnisme plutôt que le non-interventionnisme ?

Faut-il restituer au vin le rôle d’aliment pour nos corps et nos âmes ?  

Je vous laisse comme toujours avec plus de questions que de réponses, en espérant vous avoir apporter un éclairage sur cette catégorie des vins naturels, si complexe et aux multiples facettes.

A la Géorgie, à la Nature et à la Liberté de pensée !  

 

Michele 

 

 

Liens utiles: Wines of Georgia 

Photo: Caimotto Michele, Wine Rose Sàrl