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Lo sbattutino al Marsala

 

Quand j’étais malade ou affaibli…et surtout que je n’avais pas envie d’aller à l’école, ma mère me préparait un « sbattutino » (jeune d’oeuf monté au sucre…que je dévorais à la petite cuillère).

Déjà à l’âge de 10 ans, ce sbattutino était rendu aussi rayonnant que le meilleur des sabayons grâce à l’ajout de quelques gouttes de Marsala…

Pourquoi vous parler de ces mémoires d’enfance ? Parce qu’encore dans les années 1980s (et en Vénétie !), le Marsala était dans l’armoire de toute famille italienne. Voilà la puissance de l’héritage culturel de cette région qui se bat aujourd’hui pour regagner le lustre d’antan.

 

Marsala…le territoire 

Au compteur :  presque 4000 heures de soleil par année (latitude appelée aujourd’hui « Sun Belt »), des terres en pente légère ou en plaine, un sous-sol calcaire qui permet une bonne rétention hydrique (compte tenu des 600mm de pluie annuelle), et tout cela à proximité de la mer.

Il est certain que ce cadre motive la production et le commerce…

 

Les origines

Les premiers témoignages de la présence de la vigne sur le territoire de Marsala remontent à l’époque phénicienne (VIIIᵉ–VIIᵉ siècle av. J.-C.), période durant laquelle les Phéniciens fondèrent d’importants établissements comme Mothia, sur l’île éponyme de la lagune de Stagnone, aujourd’hui réserve naturelle.
Originaires du Moyen-Orient, les Phéniciens introduisirent dans la région des techniques agricoles avancées, notamment la viticulture, en tirant parti des conditions favorables du territoire. Le vin produit était destiné aussi bien à la consommation locale qu’au commerce, témoignant de l’importance économique et culturelle que revêtait déjà, à l’époque archaïque, la culture de la vigne.

Par la suite, durant la période grecque (VIᵉ–IVᵉ siècle av. J.-C.), la viticulture se répandit encore davantage en Sicile, bien que plus intensément dans la partie orientale de l’île. 

Avec l’arrivée des Romains, la Sicile devint un important grenier à blé et vignoble de l’Empire. L’historien et naturaliste Pline l’Ancien, dans son œuvre Naturalis Historia (Livre XIV), cite expressément la zone de Drepanum (Trapani) comme l’une des plus fertiles pour la production de vin :
“La Sicile est fertile en vins, particulièrement dans la région de Drepanum.”

 

Du Moyen Âge à l’Éveil Moderne (1000–1800)

Entre l’an mille et la fin du XVIIIᵉ siècle, la région de Marsala traverse une série de dominations qui façonnent profondément son tissu socio-économique et sa relation à la vigne. Après la période arabo-normande, où la viticulture fut partiellement reléguée à un usage non alcoolisé (raisins secs, vinaigres, remèdes), les dominations successives – normande, souabe, aragonaise puis espagnole – redonnent progressivement une place centrale à la culture du vin. Sous les Normands et les Souabes, une politique de remise en valeur des terres stimule l’agriculture locale ; la vigne retrouve sa vocation vinicole dans les campagnes de Trapani et Marsala. À l’époque aragonaise (XIVᵉ–XVIᵉ), les terres sont peu à peu accaparées par une noblesse locale et étrangère, donnant naissance à un système foncier de type féodal : les grands latifundi dominent, exploités par des journaliers et métayers, souvent en situation précaire.

Dans ce contexte, la viticulture s’étend mais reste fragmentée, pratiquée en « foule » (complantation de cépages à distribution aléatoire) sur des terres souvent éloignées de tout modèle de rationalisation agricole. Néanmoins, le climat exceptionnel, allié aux sols calcaires et à la brise marine, favorise la production de vins rustiques mais puissants, parfois renforcés par la technique « d’appassimento » héritée de l’époque grecque / arabe, utilisées pour la concentration / conservation ou l’usage médicinal.
Les ports de Trapani et Marsala, déjà actifs dans le commerce maritime avec l’Espagne, Gênes, Venise ou l’Afrique du Nord, offrent un débouché potentiel, bien que peu structuré, à ces productions locales.

À l’aube du XVIIIᵉ siècle, alors que la Sicile est passée sous domination bourbonienne, la viticulture connaît un regain d’intérêt : certaines familles aristocratiques ou bourgeoises commencent à investir dans des palmenti (installations d’héritage romain pour le pressurage et vinification…ou les ancêtres de caves actuelles), et à mieux organiser les cépages. Le vin reste alors un produit de consommation locale ou d’exportation mineure – souvent en vrac – jusqu’à l’arrivée décisive des commerçants britanniques à la fin du siècle. Mais déjà, les fondations agricoles et humaines du futur « Marsala » sont posées.

 

L’arrivée des Anglais et la naissance d’un vin de légende

À la fin du XVIIIᵉ siècle, dans un contexte de redéploiement du commerce maritime et d’intensification des échanges avec l’Angleterre, la destinée du vin de Marsala bascule. En 1773, l’arrivée du marchand anglais John Woodhouse marque un tournant décisif : séduit par la puissance naturelle des vins locaux et leur capacité de conservation, il expérimente l’ajout d’alcool pour stabiliser leur transport. Cette technique, déjà utilisée à Porto ou à Madère, donnera naissance au Marsala fortifié, plus stable et plus conforme au goût des marchés anglais et nord-européens.

Les familles anglaises Woodhouse, Ingham, Whitaker – bientôt rejointes par des familles italiennes comme Florio – vont structurer un véritable modèle de production et d’exportation. Elles introduisent des méthodes de vinification plus rigoureuses, adaptent les cépages aux styles souhaités (notamment avec le développement du Grillo), et organisent la production en gamme : du Marsala jeune, fruité et sucré, au Marsala vieux, oxydatif et sec, chacun correspondant à une typologie de consommation et à un marché particulier.

C’est dans cette période – entre la fin du XVIIIᵉ et le début du XXᵉ siècle – que se forme la première proto-appellation.

Elle ne protege pas la production locale mais en codifie les styles dans un but commerciale. Les vins sont classés selon la couleur (oro, ambra, rubino), le degré de douceur (secco, semisecco, dolce) et le vieillissement (fine, superiore, Riserva, Stravecchio). 

Celle-ci est une vision simplifiée…à cette époque les étiquettes portaient des achrinimes tels SOM (Superior Old Marsala) ou IP (Italian Particular) ou encore GB (Garibaldi Dolce)…

Chaque maison développe en fait son propre style, ses secrets de coupage ou d’élevage, parfois jalousement gardés.
Le Marsala devient ainsi un vin à identité multiple, oscillant entre traditions locales, exigences de marché et innovation technique.

Mais cette richesse, sans cadre réglementaire, finit par brouiller les repères du consommateur et laisse surtout beaucoup de place aux imitation. 

 

La crise du Marsala 

Malgré la créativité d’une maison comme les Florio, qui a partiellement réussi à contourner le bloquage du prohibitionnisme (1920-1933) en lançant le Marsala ration médicinale « bouteilles de taille hospitalière » la contraction mondiale de la deuxième guerre affaiblit fortement la région. 

Les bombardements, les pillages des caves durant la deuxième guerre ont fait capituler certains négociants, mais surtout affaibli davantage les 12’000 agriculteurs / viticulteurs liés à la production et vente de raisin. 

En parallèle depuis les années 1930s la communauté locale demande l’établissement d’un cadre légal de protection de la marque Marsala contre la contrefaçon et l’usurpation du nom. 

Les bases de la DOC seront posées uniquement en 1963 et la mise en vigueur en 1969. 

A ce moment il y a plus de Marsala produit aux États Unis, Australie, etc. que dans Marsala même. 

A l’arrivée du phylloxera, la Sicile contait 322’000ha de vignoble, équivalents à 17% de la surface totale de l’île. Un vignoble simplement immense, qui malgré l’importante érosion dans le demi siècle suivant, générait des volumes qui demandaient d’être canalisés ou trouver un débouché commercial. 

Ce fut l’essor des cooperatives

  • avec la production des premiers vins secs / de table à petit prix,
  • de la baisse de qualité pour occuper des marchés comme ceux de l’alimentaire (fonds de cuisson, aromatisation de la viande pour les conserves en boite, patisserie, etc.), encore aujourd’hui 30% des 50’000hl produits par l’appellation y sont destinés. 
  • des boissons aromatisées à base de vin (Marsala all’uovo, Vermouth, etc.)
  • des « crèmes » (Crema Marsala al Caffè, Mandorla, Mandarino, etc.), produits de grande surface / export bas de gamme qui ont occupé la place de digestifs 

Cette variété de produits, les imitations faites à l’étranger et la difficulté d’accès à des Marsala de la meilleure qualité (aujourd’hui le Marsala Vergine, c’est a dire celui des origines, compte pour 0.7% de la production) le nom de Marsala a été complètement dilué.

Entretemps le goût des consommateurs commence à changer et s’éloigne des vins fortifiés. 

 

Qu’en est-t’il du Marsala aujourd’hui ? 

Après plusieurs années da « libre arbitre » le Consorzio de tutelle est reconstitué en 2021. 

Pour la première fois il intègre autant les maisons de négoce que les coopérative, qui représentent les intérêts de la communauté productive. 

On parle de rajeunir la marque, protéger le milieux de production via le support de l’UNESCO, diversifier la gamme afin d’attirer un consommateur jeune et curieux. 

Comme vous pouvez imaginer l’affaire est bien plus nuancé que cela.

Je vous invite à nous rejoindre lors des prochaines dégustations autour du thème pour approfondir le sujet. 

Les dates à bloquer: 

Programme Marsala Vergine du 27 novembre 2025 

 

Nous allons explorer le siècle XX autour du Marsala Vergine, le style le plus sec et « originel », en sirotant quelques vins exceptionnels produits par les producteurs orientés qualité. 

Les dégustations qui suivront seront dédiées à la complexification de la recette et de la gamme de produits.

L’emploi de mistelles et mosto cotto a donné naissance à une large palette de styles dédiés à des marchés spécifiques.

In fine, une soirée, sera certainement dédiée à l’histoire passionnante de la famille Florio et de ces vins avec quelques flacons d’avant la vente de l’activité au groupe Cinzano (1924).

 

Voici le parcours historique et gustatif dans lequel je souhaite vous embarquer. 

Montez à bord, le plaisir est assuré !

A votre santé !

Michele 

 

 

En attendant…

Certains mots que vous allez entendre en relation avec le Marsala: 

  • Perpetuum : un ancien terme lié à la production familiale à Marsala utilisé pour désigner la méthode de vieillissement en fûts partiellement vidés pour répondre à la consommation annuelle, puis recappés avec des vins plus jeunes. Une sorte de pseudo solera, mais selon les sources, “perpetuum” reflète l’idée d’un vieillissement perpétuel.

 

  • Mosto cotto : moût cuit, réduit, caramélisé, utilisé dans certains Marsala pour amener couleur, douceur et complexité aromatique. Permis dans les Marsala “conciati”. 

 

  • Sifone / Mistelle : mélange de moût frais ou partiellement fermenté + alcool, ou un moût rendu non fermentescible, utilisé pour les correction en sucre/couleur dans certaines catégories. 

 

…et quelques notions sur la classification 

Aperçu de la classification 1984 du Marsala DOC – par catégories fondées sur l’âge minimum, les additifs autorisés (mosto cotto, mistella ou “sifone”, etc.), la couleur, le degré de douceur.